Le 28 novembre 1765, à Neuchâtel, fut créée notre Caisse de famille.
Cette institution existe toujours et permet d’apporter chaque année des secours aux membres de la famille qui en auraient besoin, en particulier des aides aux études et à la formation devenues si importantes dans le monde moderne. Elle nous a aussi permis de maintenir des liens familiaux qui, sans elle, n’auraient pas survécu à l’épreuve du temps et de la dilution générationnelle.
La création de cette institution familiale a été célébrée le samedi 28 novembre 2015 au Temple du Bas, à Neuchâtel, jour anniversaire exact de la signature de l’acte de fondation.
Plus de deux cents invités y ont été réunis, membres de la famille et de familles alliées, représentants de familles ayant de similaires caisses et personnes intéressées à l’histoire et à la généalogie.
Accompagnée d’un programme musical et chorégraphique spécialement préparé par Myriam et son ensemble « Improspective », cette cérémonie a comporté trois volets portant sur le contexte historique de l’époque, l’histoire de la famille et de sa caisse ainsi que les questions liées à son actualité.
Grégoire Oguey, chercheur en histoire à l’Université de Neuchâtel, a fait une conférence intitulée Contexte historique, comment et pourquoi naissent des caisses de famille au XVIIIème siècle à Neuchâtel.
De telles caisses naissent dès la fin du XVIIème siècle et continuent de se créer jusqu’au début du XXème. À de rares exceptions près ce sont des familles aisées –bien placées dans la société neuchâteloise et pourvoyeuses de nombreux Conseillers d’État à la principauté– qui se donnent de telles institutions, en cela aussi inspirées d’exemples voisins, bernois en particulier. Il s’agit non seulement de subvenir aux besoins des moins bien lotis et de pourvoir à l’éducation de leurs enfants mais aussi d’affirmer et de maintenir le statut de leurs familles. La protection sociale de l’époque ne reposait sur aucun mécanisme autre que la charité et les quêtes qui, dûment examinées et permises par l’autorité en place, se faisaient pour porter secours aux victimes de coups du sort, incendies en particulier. Ce type d’entre-aide se termina avec l’avènement de mécanismes d’assurance dès le début du XIXème siècle.
Le conférencier remarque aussi que les règlements de la Caisse stipulent que le siège de cette Caisse devra rester en la Principauté de Neuchâtel, aussi longtemps que les peuples y conserveront leurs libertés. Il constate néanmoins que cette époque fut loin d’être aussi sûre que l’on voudrait le croire. Altercations, révoltes et licenciements de Conseillers d’États, assassinat de l’Avocat général Gaudot ont été la manifestation de relations difficiles et dangereuses entre le pouvoir local et le Prince siégeant à Berlin, Frédéric II de Prusse, en particulier à propos de l’affermage de l’impôt. Une médiation fut assurée par les Bernois, qui donnèrent raison au Prince. [1]
Denise, co-auteur avec son mari Yves du livre La famille Rougemont de St-Aubin et Neuchâtel (éd. Attinger, 2012), a présenté les personnages clés de cette caisse, son fondateur Abram surtout – dont le portrait est suspendu dans sa salle à manger et avec lequel elle entretient une incessante conversation virtuelle. Il y a aussi son frère Jean-Jacques – à la tête des branches dites du Tertre, par le Conseiller d’État Louis, et du Löwenberg par Denis. Et aussi c’est de son autre frère François-Antoine III que descendent la branche anglaise par le banquier Jean-Henry, et celle de St-Aubin par Georges, Conseiller d’État et procureur général..
Une banderole de huitante centimètres de haut sur presque cinq mètres de long représentant tout l’arbre généalogique des membres de la Caisse a été exposée (une copie peut être téléchargée ici, utiliser très fortement le zoom pour en lire les détails).
Pour sa part, Yves a expliqué le devenir de la Caisse depuis sa fondation. Par la sage règle qu’au moins un quart des revenus doit être accumulé sous forme de réserve, le capital initial de 7 000 livres de l’époque, doublé plus tard par un apport identique de Denis, banquier et neveu du fondateur, a progressé, passant de prêts privés à intérêt fixe à l’acquisition d’obligation d’état, dont les fameux emprunts russes au début du XXème siècle ne valant plus rien après la révolution de 1917, pour se composer aujourd’hui d’un portefeuille d’actions, obligations et d’immobilier dont le montant ne sera pas divulgué. Alors que pendant longtemps les demandes étaient en excès des revenus disponibles, la situation est devenue plus confortable, permettant de contribuer de manière très significatives au financement des études de plusieurs enfants de la famille. Depuis sa création il est estimé que des secours d’environ 2,2 millions de francs ont été alloués, ce qui n’est pas rien. Yves a aussi souligné le caractère spécial de telles caisses dans l’environnement légal et administratif d’aujourd’hui. Leur statut privé et exclusif a été testé en justice jusqu’à la Cour Européenne de Droits de l’Homme, quant à la définition des personnes intéressées et de celles qui en décident la gestion –chez les Rougemont les seuls mâles adultes de plus de vingt-cinq ans descendants par les mâles et par filiation légitime de François Antoine II, père du fondateur. Il a aussi fait remarquer qu’ouvrir le cercle des bénéficiaires et des gestionnaires à toute la descendance, filles et fils compris, aurait pour conséquence un nombre d’intéressés impossible à gérer et une dilution qui réduirait à la futilité l’impact des secours qui pourraient être octroyés. Yves, ayant présidé la caisse pendant trente-huit ans, a aussi montré qu’au cours du temps les liens familiaux ont été resserrés par la rencontre annuelle, non plus seulement de ses seuls membres, mais aussi de toutes les intéressées à la caisse et à leurs familles. Il a aussi dévoilé que les décisions de l’assemblée des membres ont toujours été empreintes d’humanité et de bienveillance, du souci de porter secours et assistance, plutôt que de faire une interprétation excessivement stricte de discutables critères d’attribution.
Au cours d’un podium de discussion intitulé Protection privée dans un état social : concurrence, complémentarité, obsolescence, que Philippe a savamment mis en place, Pascale Gazareth, sociologue à l’Université de Neuchâtel et associée à l’Office fédéral de la statistique, a bien expliqué les différences entre les régimes d’assurance, financé par des cotisations, dans lesquels le droit de chacun est d’être couvert contre des risques tels que vieillesse ou perte d’emploi, et celui de l’assistance sociale qui, par le biais de l’impôt, protège les personnes contre les effets de la pauvreté, assurant en dernier ressort à ceux qui en ont besoin un minimum non seulement économique mais aussi permettant de maintenir une vie sociale, tel que mobilité, accès à la culture et aux relations en dehors du strict cadre du foyer. Mais une telle protection à minima ne couvrant qu’une liste étroite de besoins « standard », elle a souligné qu’une action privée comme celle d’une caisse de famille permet de couvrir d’autre besoins dans des situations bien diverses. Dans ce sens-là il n’y a donc aucune concurrence mais une très utile complémentarité avec l’état social. Le fait qu’il s’agisse d’institutions privées leur permet d’ailleurs d’agir de manière discriminée, selon les règlements qu’elles se sont données. Quant à une possible obsolescence elle a fait remarquer que par les liens personnels et sociaux que de telles caisses permettent d’établir et de développer, leur valeur immatérielle dépasse, et de beaucoup, son cadre strictement financier. Elle y voit donc un élément de cohésion sociale utile et nécessaire dans le monde actuel, donc pas d’obsolescence en vue.
Albert de Pury, président de la caisse de sa famille, a aussi mis en évidence cette dimension immatérielle d’une telle institution qui permet de se connaître, de s’apprécier et de forger des liens au-delà d’un rameau d’une branche de l’arbre généalogique, d’un endroit précis, ou d’informelles réunions de famille tous les vingt ou trente ans. Il a aussi souligné que l’on peut l’organiser par la patrifiliation ou par la matrifiliation, mais vraisemblablement pas par les deux, et ce pour des raisons très pratiques.
Au cours de la discussion qui a suivi ces deux exposés la question de la participation des filles et de leurs descendants à une caisse et à sa gestion a été abordée. Alors qu’Yves en avait rapidement exposé les aspects juridiques auparavant, Pascale Gazareth a souligné que, considérant que le capital et les revenus d’une caisse proviennent d’une forme d’héritage, le fait de n’y avoir pas contribué rendait plus acceptable les termes, même arbitraires, qu’imposent leurs statuts réglementaires. S’il existe plusieurs caisses ayant des buts similaires à ceux de celle de la famille Rougemont, il faut aussi savoir que chacune est régie par des statuts et des coutumes bien différents.
Enfin, Thomas Facchinetti, Président de la Ville de Neuchâtel a adressé ses vœux et ceux du Conseil communal à la famille, lui rappelant que sa devise Plus être que paraître était, elle aussi, d’une grande actualité dans une société souvent orientée vers le contraire.
La cérémonie s’est terminée par une danse endiablée sur la scène où les tout-petits, gardés bien sages et à l’écart par des baby-sitters attentionnées durant ces longs discours, ont été rejoints par des plus grands, tout aussi jeunes d’esprit.
Après cette piqûre de rappel historique et existentiel, les besoins de la nourriture des corps et de l’apaisement de leur soif ont été amicalement satisfaits.
Cette journée a été rendue possible par l’engagement du comité d’organisation, Anne et Laurence surtout –deux têtes pensantes et chevilles ouvrières de l’événement activement aidées par leurs maris et enfants– Gilbert, Lukas et Philippe, et soutenu par le comité de la caisse formé de Michel, président, Yves, vice-président, et Pascal, secrétaire.
On espère inventer une occasion de répéter l’évènement avant un autre quart de millénaire.
[1] Georges de Montmollin, toujours attentif et attentionné, me passe ces liens sur le site de sa famille
(www.montmollin.ch) où l'on pourra trouver des précisions sur ces évènements, merci à lui :
Affaire-Gaudot et affermage de l’impôt.
Le programme de la cérémonie est disponible : Télécharger le programme.
Un reportage de la télévision locale Canal Alpha peut être visionné ici.